Seulement 17% des développeurs en France sont des femmes. Cela fait maintenant près de 10 ans que j’évolue dans le secteur du numérique en tant que développeuse mobile. Pourtant, en France et en Europe, les femmes restent largement sous-représentées dans la tech. Plusieurs questions ont émergées...
Pourquoi sommes-nous si peu nombreuses dans cet écosystème tech en pleine croissance ? Est-ce que certaines expériences professionnelles que nous avons vécues sont directement liées au fait d’être une femme ? Ce secteur est-il encore perçu comme un univers exclusivement masculin ?
Malgré les efforts des entreprises pour favoriser plus de diversité, l’égalité entre hommes et femmes dans la tech reste un défi majeur. À travers mon expérience et celle d’autres professionnelles, je souhaite partager un regard lucide sur les obstacles rencontrés, mais aussi sur les solutions qui peuvent favoriser une meilleure inclusion dans les carrières numériques.
L'Histoire de la programmation :
Au début du XXe siècle, la programmation était un domaine où les femmes jouaient un rôle majeur. Elles ont largement contribué aux avancées du numérique et de l’informatique. Par exemple, l’une des bases fondamentales du Wi-Fi repose sur les travaux d’une femme : Hedy Lamarr.
Jusqu’à la fin des années 1970, les femmes étaient encore nombreuses dans l’écosystème tech. Mais tout a changé avec l’arrivée des micro-ordinateurs dans les foyers dans les années 1980. En France comme en Europe, ces machines étaient principalement destinées aux jeunes hommes, qui sont devenus les premiers à se familiariser avec l’outil informatique.
Progressivement, des groupes de passionnés, exclusivement masculins, se sont formés autour de la programmation, laissant les femmes en marge de ce secteur. Les étudiantes souhaitant poursuivre une carrière dans l’informatique partaient avec un retard technique face à leurs homologues masculins. Ce déséquilibre a creusé un fossé entre hommes et femmes dans la tech, poussant de nombreuses talents féminins à abandonner leur ambition dans ce domaine.
Culture et stéréotypes : des freins à la diversité dans la tech
Le manque de diversité dans la tech est particulièrement marqué en France et en Europe, mais il ne s’agit pas d’une réalité universelle. En Malaisie, par exemple, les femmes sont majoritaires dans les métiers du numérique. Ce phénomène s’explique par des facteurs culturels : le secteur du développement informatique est perçu comme une opportunité professionnelle compatible avec les contraintes du quotidien, permettant notamment de travailler à domicile et d’assurer une certaine sécurité.
À l’inverse, dans les pays occidentaux, l’image du développeur s’est construite autour d’un stéréotype persistant : celui du geek solitaire, peu sociable, exclusivement masculin et coupé du monde extérieur. Contrairement à des professions valorisées comme médecin ou avocat, la carrière de développeur a longtemps été perçue comme austère et peu attrayante.
L’absence de représentation féminine dans cet écosystème tech renforce l’idée d’un domaine inaccessible aux femmes. Pourtant, cette vision est largement erronée. Lors de mes études, ce stéréotype ne correspondait qu’à une infime minorité des étudiants. La plupart des personnes que j’ai rencontrées étaient avant tout curieuses, passionnées et désireuses d’utiliser la technologie pour améliorer le quotidien des particuliers et des entreprises.
Le cercle sociale :
Le choix d’une carrière dans la tech est souvent influencé par l’environnement familial. De nombreuses études montrent un phénomène de reproduction sociale : dans une famille de médecins, il est fréquent que les enfants s’orientent vers la médecine. Il en va de même pour les ingénieurs. En France, et plus largement en Europe, beaucoup d’étudiants en école d’ingénieur avaient au moins un parent travaillant dans ce secteur.
Historiquement, les femmes occupant des postes à responsabilité et à temps plein dans le numérique restent un phénomène récent. La génération précédente comptait encore de nombreuses mères au foyer ou travaillant à mi-temps, ce qui limitait la transmission d’un modèle féminin dans l’écosystème tech.
Pour ma part, mon parcours vers la programmation n’a pas été directement influencé par mon milieu familial. Initialement attirée par la médecine, j’ai réalisé dès ma première année que ce n’était pas fait pour moi. Je me suis alors tournée vers les mathématiques et l’informatique, où j’ai découvert le développement. Mon frère, passionné de jeux vidéo, et mon cercle d’amis majoritairement masculin ont sans doute joué un rôle indirect dans mon choix. Ajoutez à cela un certain esprit de contradiction, et me voilà aujourd’hui développeuse dans un secteur où les femmes sont encore sous-représentées.
Le sexisme dans la tech : une réalité encore bien présente
Une sous-représentation qui entretient le problème
Le manque de femmes dans la tech ne se limite pas à un simple problème de vocation ou de choix de carrière. Selon Tracy, développeuse iOS depuis 10 ans, l’une des principales raisons de cette situation est la sous-représentation des profils féminins dans l’écosystème tech. Sans modèles visibles et inspirants, difficile pour les jeunes femmes d’imaginer une place pour elles dans ce secteur.
Tracy a eu l’occasion de travailler aussi bien pour de grandes entreprises comme France Télévisions que pour des structures plus petites. Son parcours est riche et diversifié : développement d’applications grand public, domotique, innovations numériques… Pourtant, malgré cette expérience, elle a été confrontée à des comportements rabaissants et sexistes.
Des paroles inacceptables en entreprise
Certaines remarques qu’elle a reçues témoignent d’un mépris évident pour la place des femmes dans ce secteur. Lorsqu’elle a refusé une mission qui ne correspondait pas à ses compétences, un responsable lui a lancé : "On a bien été gentil de valider ta période d’essai, tu nous la mets à l’envers. Tu te permets de refuser cette mission alors que tu vaux moins qu’un autre de tes collègues."
Lors d’une autre mission, elle s’est carrément entendu dire : "Écoute, on va se séparer de toi, car on cherche quelqu’un qui a des couilles."
Ce type de discours contribue à renforcer l’idée que la tech serait un secteur réservé aux hommes et que les femmes doivent sans cesse prouver leur légitimité.
Un sexisme qui touche même les plus jeunes
Tracy a également été témoin d’attitudes sexistes à l’égard d’une jeune alternante dans son entreprise. Son manager ne lui attribuait que des tâches complexes en affirmant qu’elle ne réussirait pas et qu’elle était "trop loin du niveau requis". Face à cette attitude décourageante, Tracy est intervenue pour lui rappeler que le rôle d’un manager est d’accompagner et non de démotiver. Elle a alors pris cette alternante sous son aile pour l’aider à progresser.
Mon expérience : entre remarques déplacées et remise en question
Des attaques sur le physique plutôt que sur les compétences
De mon côté, j’ai été confrontée à des remarques sexistes dès mes premières années en entreprise. Pendant mon alternance, j’ai entendu des commentaires du type : "Tu es un cachalot." "Entre les devs femmes, on devrait faire un classement sur vos physiques."
Si je faisais un effort vestimentaire, la réaction ne se faisait pas attendre : "Tu veux plaire à qui ?"
Pire encore, certains collègues, parfois bien plus âgés, allaient jusqu’à me mettre en scène dans des situations intimes avec d’autres membres de l’équipe. Au début, je n’osais rien dire. J’étais junior, mal à l’aise, alors je souriais pour éviter le conflit… Jusqu’au jour où j’ai décidé de répondre : "Stop. Tu n’aimerais pas qu’on parle de ta femme ou de ta fille comme cela."
Une exigence accrue envers les femmes
En plus des remarques déplacées, j’ai souvent eu l’impression de devoir en faire plus que mes collègues masculins pour prouver ma légitimité. Une erreur de ma part était immédiatement pointée du doigt : "Après 10 ans d’expérience, tu ne devrais pas faire ce genre d’erreur."
En revanche, les erreurs des autres étaient rarement relevées avec autant de sévérité. Et ce comportement ne venait pas seulement des hommes. Certaines femmes managers pouvaient se montrer particulièrement dures avec d’autres femmes, tout en étant plus indulgentes avec leurs homologues masculins.
Ce climat toxique m’a fait douter à plusieurs reprises. J’ai pensé à abandonner cette carrière plus d’une fois, me demandant si j’étais vraiment faite pour ce secteur.
L’écart salarial : une inégalité qui s’aggrave avec l’expérience
Au-delà du sexisme quotidien, un autre problème persiste : l’écart salarial. Plus on monte en responsabilité, plus il se creuse. Selon une étude menée par 50inTech, il atteindrait 19,6% dans la tech.
Dans une de mes anciennes entreprises, une collègue sur le départ s’est vu dire : "Tu ne vaux pas le salaire qu’on te propose dans ta future boîte."
Une autre, demandant une augmentation, a reçu une réponse similaire. Curieusement, ces remarques ne concernaient que des femmes…
Ce type de comportement démontre que, même si les mentalités évoluent, l’égalité dans la tech est encore loin d’être acquise.
Manque de visibilité : un obstacle à la diversité dans la tech
L’un des principaux obstacles à la présence des femmes dans la tech est tout simplement le manque de sensibilisation aux métiers du numérique dès le plus jeune âge.
Lorsque j’étais au collège et au lycée en France, il n’existait aucun cours de programmation. Le programme scolaire comprenait bien des mathématiques, des sciences physiques, ou encore de la technologie, mais celle-ci se concentrait principalement sur des notions théoriques d’électronique, avec très peu de pratique. Même en filière scientifique, l’option Sciences de l’Ingénieur (SSI) abordait surtout la mécanique et l’électronique, laissant peu de place à l’informatique.
Le manque d’exposition à ces disciplines renforce l’idée que la programmation serait un domaine réservé aux hommes déjà initiés, perpétuant ainsi les préjugés sur ce secteur. Si les jeunes filles ne découvrent jamais ce métier, comment pourraient-elles envisager une carrière dans la tech ?
Heureusement, les choses évoluent. De plus en plus d’écoles intègrent aujourd’hui des cours et des ateliers de programmation dans leur cursus. Cette évolution est essentielle pour encourager la diversité et ouvrir la porte aux futures femmes développeuses qui, jusqu’ici, ne se projetaient pas dans cet écosystème tech.
Attirer plus de femmes dans la tech : des solutions concrètes
Malgré les obstacles, ces 10 dernières années nous ont aussi offert de belles expériences. Tracy et moi avons eu la chance de travailler avec des équipes bienveillantes, où notre travail était reconnu et valorisé. Ces environnements nous ont permis de nous épanouir et de prendre conscience de l’importance d’un écosystème tech plus inclusif. À force d’expérience, nous avons appris à identifier et à éviter les entreprises toxiques, mais surtout, à encourager celles qui favorisent la diversité et l’égalité.
Casser les stéréotypes et valoriser les rôles modèles
Le premier levier de changement est de briser l’image dépassée du geek solitaire. La tech n’est pas réservée à un profil unique, et il est essentiel de mettre en avant la diversité des talents qui composent ce secteur. Promouvoir des rôles modèles féminins, de différentes origines et parcours, est un moyen puissant d’encourager d’autres femmes à envisager une carrière dans le numérique.
Lutter activement contre les comportements toxiques
Pour que les femmes puissent évoluer sereinement dans ce secteur, il est impératif de sanctionner les comportements sexistes. Parfois, une discussion suffit : tout le monde peut commettre des maladresses, et certaines remarques sont le fruit d’une méconnaissance plus que d’une intention malveillante. Mais lorsque ces attitudes persistent, il faut que les entreprises mettent en place des mécanismes de signalement efficaces, avec des référents capables d’intervenir rapidement.
Si un environnement devient trop toxique, il ne faut pas hésiter à partir et à chercher une entreprise plus alignée avec ses valeurs. Heureusement, de plus en plus de structures prennent ces enjeux au sérieux et travaillent activement à rendre la tech plus inclusive. D’ailleurs, aborder ces sujets en entretien peut être un bon indicateur de la culture d’entreprise dans laquelle on s’apprête à évoluer.
Favoriser la bienveillance et l’entraide
Le travail en équipe est au cœur du numérique. Évoluer dans un environnement sain, où chacun se sent libre d’apprendre, d’échanger et de progresser, est une source de motivation inestimable.
Soyons celles et ceux avec qui on a envie de travailler et d’échanger. Encourageons la formation et le mentorat des jeunes femmes en alternance ou en reconversion. Aidons-les à monter en compétences progressivement, en leur attribuant des tâches adaptées à leur évolution et en étant présents pour les accompagner.
Créer un écosystème tech plus équitable, c’est un travail collectif. Plus nous serons nombreux à défendre ces valeurs, plus nous verrons émerger une tech où les femmes ont toute leur place.
Pour plus de précisions, je vous propose ce talk très complet d'Amandine Cousin, développeuse iOS engagée dans l'inclusion des femmes dans la tech : https://www.youtube.com/watch?v=Uj_MaRhjO7w